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Retour sur dix ans de qualification de traite des êtres humains à des fins économiques

Il y a dix ans, le 21 octobre 2010, s'ouvrait devant le tribunal pénal de Lyon le premier procès en France pour traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail. Depuis, ce phénomène gagne peu à peu en visibilité, mais il reste beaucoup à faire pour l’enrayer.

Un tournant dans la lutte contre la traite à des fins économiques

Le 21 octobre 2010, le tribunal pénal de Lyon juge un couple de Français, ayant exploité pendant vingt ans une femme Sénégalaise, pour traite à des fins d’exploitation par le travail. Une première pour la justice française. La victime a alors 57 ans. Elle était chargée de l’intégralité des travaux ménagers pour une maison de 9 pièces, de la préparation des repas, et s’occupait des parents de son employeur. Durant cette période, elle n’a jamais bénéficié de congé, n’a jamais été déclarée et aucune démarche n’a été faite pour sa régularisation. Elle était dans une dépendance financière totale, ayant reçu environ 5000 € comme rétribution pour l’ensemble de sa période d’exploitation.
La condamnation : un an de prison avec sursis pour les employeurs et 42 000 € de dommages et intérêts. 

Cette première infraction de traite à des fins économiques reconnue par la justice française est un tournant dans la lutte contre ce phénomène. Cependant, force est de constater que la peine fût dérisoire par rapport au préjudice subi.

condamnations

La traite à des fins économiques : une prise de conscience récente

Pendant longtemps, la qualification de traite à des fins économiques n'a pas été retenue par les tribunaux . Cette forme d'exploitation par le travail était même parfois considérée comme créant un appel d’air pour des migrants en quête de régularisation. 

Le réflexe des policiers et magistrats était alors de regarder d’abord la situation administrative des personnes concernées avant leur situation d’exploitation.

Cependant, depuis la première condamnation de 2010, la justice commence à prendre en compte la réalité du phénomène et à qualifier l’exploitation en conséquence. 

Quant aux peines retenues, elles deviennent peu à peu plus dissuasives pour les exploiteurs.

Par ailleurs, à force de sensibilisation des magistrats, de la police, des institutions et de la société civile, un plus grand nombre de situations sont repérées et identifiées, puis amenées devant la justice. 

La traite à des fins économiques est ainsi progressivement rendue visible.

Les axes de progression pour intensifier la lutte contre ce phénomène

L’exploitation par le travail ne se voit pas. Elle se déroule dans des lieux clos, et dans l’intimité des domiciles. Il reste encore beaucoup à faire pour rendre visible l’ampleur de ce phénomène et enrayer son développement.

Aujourd’hui, la plupart des victimes ne bénéficient pas d’une protection adéquate, et ne sont pas indemnisées à la hauteur du préjudice subi. Par ailleurs, la poursuite des auteurs est à intensifier, et les condamnations retenues doivent désormais être proportionnelles à la gravité des faits. Elles n’en seront que plus dissuasives.

Informer et mobiliser les acteurs 
Le premier levier à actionner pour améliorer la lutte contre ce phénomène est la sensibilisation et la formation des magistrats, de la police, de l’inspection du travail, des associations dans le but de les aider à repérer les situations d’exploitation, à identifier les victimes et à procéder aux signalements.
En parallèle, une campagnes nationale de sensibilisation permettrait une meilleure prise de conscience du phénomène par la société toute entière.
Enfin, une large couverture médiatique à l'occasion des procès mobilise l'opinion et les pouvoirs publics.

Améliorer l'identification des victimes est indispensable afin de mobiliser les pouvoirs publics et les acteurs concernés.

Augmenter les solutions d’hébergement d’urgence pour les victimes
Celles-ci ont besoin d’un lieu sûr dès leur sortie d’exploitation. Or, un certains nombre de victimes se retrouvent dans la rue faute d’hébergement, et risquent une nouvelle exploitation.

Les pouvoirs publics doivent prendre conscience de cette réalité et créer de nouvelles solutions d’hébergement efficaces pour ces personnes.

Des référents sur cette forme de traite dans les parquets
Comme c’est le cas pour l’exploitation sexuelle, des magistrats spécialisés et consacrés aux situations de traite à des fins économiques auraient un rôle déterminant pour rendre justice aux victimes et faire appliquer la loi.

Régulariser les victimes pendant la durée des procès
La régularisation des victimes mériterait d’être automatisée durant toute la durée de leur procès. Aujourd’hui, celle-ci est laissée à l’appréciation du préfet.

La campagne de sensibilisation grand public de 2016 réalisée par le CCEM

campagne

 

Le Comité Contre l’Esclavage Moderne- CCEM

Depuis 1994, le CCEM dénonce toutes les formes d’esclavage contemporain partout dans le monde. Il assure un accompagnement social et juridique des victimes de travail esclave, et de traite à des fins économiques. Fort de cette expertise, le CCEM forme et sensibilise les professionnels et le grand public et participe aux instances nationales et européennes pour améliorer les pratiques et la mise en application des lois et des politiques contre la traite.  En 25 ans, le CCEM a accompagné plus de 850 victimes au niveau national.
Le CCEM est membre du Collectif  "Ensemble contre la Traite des êtres humains".

Article écrit en collaboration avec Sylvie O’Dy, présidente du CCEM