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Prouver son identité quand on est victime de traite

En France, pour qu’une victime de traite puisse bénéficier d’une protection et être régularisée, il est nécessaire qu’elle ait déposé plainte. Seulement, la victime doit également pouvoir justifier de son identité et de son état civil auprès des autorités, de la police, des associations ou des services sociaux, afin d’être prise en charge.

Une obligation administrative se heurtant au vécu des victimes

La plupart des victimes de traite ont été privées de leurs papiers d’identité par les exploiteurs. Pour prouver leur identité, elles doivent alors se tourner vers l’ambassade de leur pays d’origine pour obtenir des documents attestant de leur état civil.

Ces démarches demandent un investissement personnel important sans aucune garantie de résultat, pour des victimes déjà fragilisées par l’exploitation, et qui ont besoin de consacrer du temps à leur propre reconstruction.

Cette nécessité administrative vient ainsi ralentir et perturber le processus de réinsertion des victimes, les privant d’un temps précieux et de la disponibilité d’esprit nécessaire à l’investissement dans un nouveau projet de vie.

Par ailleurs, le besoin de justifier de son état civil peut être vécu comme une forme de violence ou de discrimination par les personnes. Car en réalité, leur protection ne dépend plus de la reconnaissance de leur statut de victime de traite, mais de leur capacité à retrouver des documents justifiant de leur identité.

Mais au-delà de cet aspect matériel, l’injonction à justifier de son identité et de sa filiation peut avoir un impact psychique néfaste sur les victimes de traite, en raison de leur vécu lié à l’exploitation.

La détresse identitaire des victimes de traite

La plupart des victimes ont été coupées de leur histoire et de leur identité par les auteurs de traite, qui leur donne un nouveau nom et un âge fictif, afin d’exercer une forte emprise psychologique sur elles, de les manipuler et de les exploiter à leur guise.

Les victimes, souvent très jeunes, ont ainsi été attaquées dans leur identité et objectivées par l’exploitation, perdant également toute forme d’existence sociale en dehors du réseau. Ce déracinement vient donc détruire tout le processus de construction identitaire de la personne.

C’est pourquoi le fait de devoir justifier de son identité peut être déstabilisant pour une victime de traite.

Un frein dans le processus de reconstruction des victimes

L’état civil est une notion relative qui n’a pas la même importance selon le pays d’origine de la victime. Il n’est pas rare que son nom d’usage soit différent de celui mentionné dans son état civil.

Certaines victimes vont également se créer une nouvelle identité correspondant à leurs aspirations, à la culture ou au groupe auquel ils ont envie d’appartenir. Cette façon de se redéfinir, de se réinventer, utile dans le processus de reconstruction identitaire, leur permet aussi de se tourner vers l’avenir après leur vécu traumatique.

Le fait de devoir se retourner sur sa propre filiation, ses véritables origines, afin de justifier de son identité, peut être vécu très douloureusement par ces jeunes car cela les reconnecte à leur période d’exploitation et à combien celle-ci les a éloigné de leurs familles, leur ancrage affectif et psychologique..

Favoriser la coopération avec les ambassades

Il serait nécessaire de sensibiliser les ambassades sur le phénomène de traite afin de les inciter à soutenir leurs ressortissants qui en sont victimes.

Renforcer les liens entre les associations, les institutions et les ambassades devrait faciliter les démarches administratives des victimes et favoriser la reconstitution de leurs états civils.

Des espaces d’expression utile à la reconstruction

L’OICEM propose des ateliers de sensibilisation à la « citoyenneté » aux mineurs victimes de traite. Ils sont l’occasion d’expliquer aux participants qu’en France et en Europe, l’identité légale et l’état civil sont avant tout destinés à protéger les personnes.

Cela permet aux jeunes de mieux comprendre la nécessité de cette identité légale, de ne pas vivre cette obligation comme une discrimination, mais comme un élément utile à leur protection.

Lors de ces ateliers les jeunes sont encouragés à parler de leur identité, leur parcours, leur origine, mais aussi de ce qu’ils sont aujourd’hui ou de ce qu’ils souhaitent devenir.

Le fait de s’exprimer sur ces sujets et d’être entendu leur permet de se réconcilier avec leur propre histoire et de mieux appréhender leur reconstruction identitaire.

L’OICEM Organisation Internationale Contre l’Esclavage Moderne

Outre l’accompagnement de personnes victimes de traite exploitées en France et en Europe, l’OICEM développe depuis plusieurs années une assistance aux personnes mineures et majeures qui ont été victimes de traite, d’esclavage, de travail forcé, durant leur parcours migratoire. 
L’OICEM offre notamment un soutien psychologique spécialisé et vient en appui aux équipes professionnelles et bénévoles qui sont de plus en plus confrontées à des récits relatant ces faits de traite et d’esclavage.


Article écrit en collaboration avec Nagham Hriech Wahabi, psychologue clinicienne et directrice de l’OICEM