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Vols dans le métro : les dessous d’un phénomène de traite.

Le phénomène des mineurs contraints à voler dans le métro parisien et ailleurs en France est en expansion. Il concerne essentiellement des jeunes de nationalités de plus en plus variées. Arte a récemment diffusé une enquête des autorités françaises et roumaines à ce sujet.

Un phénomène qui s’installe sur le terreau de la marginalisation

L’enquête porte sur un nombre limité de familles mixtes roms et roumaines, provenant de deux quartiers des villes roumaines : Romane et de Iasi. 

Le recrutement par dévoiement des cultures traditionnelles

Les enfants de ces deux quartiers contraints de voler dans le métro étaient principalement exploités par leurs parents et leurs beaux-parents. Cette dernière situation concerne exclusivement les jeunes filles. Il s'agit du dévoiement des règles du mariage où la famille du mari verse une somme d’argent au père de la future mariée (contre-dot) qui était détournée. La somme versée était plus importante que dans les mariages habituels. Cette contre-dot versée par la belle-famille était alors convertie symboliquement en une dette, que la jeune mariée devait rembourser à travers des vols dans le métro.

Une activité très rentable

Les vols concernaient essentiellement des touristes asiatiques ou des pays du Golf connus de ces groupes pour avoir beaucoup d’argent liquide sur eux.

Certains mineurs pouvaient rapporter jusqu’à 800 € par jour. Ces sommes expliquent la motivation des exploiteurs à récupérer ces enfants coûte que coûte en allant les chercher dans les foyers, et les attendant à leur libération de prison ou en payant des avocats pour tenter de convaincre la justice de les remettre à leur famille.

La reconnaissance sociale comme motivation 

L’argent de l’exploitation gagné par les familles était souvent investi dans l’acquisition de biens matériels, en particulier dans la construction de grosses maisons.

Le rôle des usuriers 

Pour une partie des familles de l’enquête, le point de départ de l’exploitation est l’impossibilité d’accéder au crédit bancaire. Elles ont eu recours à des usuriers, qui leur ont prêté de l’argent à des taux d’intérêts très importants. Certaines familles ont ensuite exploité leurs enfants pour pouvoir rembourser leurs usuriers.
Ces derniers ne sont pas les commanditaires de la traite. Il n’y a pas, dans le dossier d’écoute où iIs incitent les familles à exploiter leurs enfants. Leur objectif est juste d’être remboursés sans se préoccuper d’où vient l’argent. 

En revanche, ils font pression sur les familles et n’hésitent pas à recourir aux menaces ou à la violence pour récupérer les dettes.

Une emprise sur les mineurs difficile à déconstruire

Les parents exercent une pression sur leurs enfants qui passe parfois par la menace ou la violence physique. Ceci étant, les jeunes sont essentiellement pris dans un conflit de loyauté vis-à-vis de leur propre famille. Tout en ayant conscience des pressions qui pèsent sur eux, ils ont néanmoins le sentiment de participer à la réussite familiale par leurs activités. 

Une partie du travail d’accompagnement tend à faire prendre conscience au mineur qu’il n’est pas définitivement un voleur, qu’il a le droit d’avoir d’autres aspirations. 

Lutter efficacement contre ce phénomène

L’importance de la collaboration Franco-Roumaine
Le renseignement nécessite de collaborer étroitement avec les autorités roumaines pour comprendre les mécanismes de l’exploitation, poursuivre les exploiteurs et protéger les victimes.

Associer répression des exploiteurs et protection des victimes
Il est nécessaire de ne pas dissocier répression et protection des victimes. Conformément aux engagement de la France depuis la ratification de la Convention des Droits de l’enfant, en 1989,  la priorité absolue demeure la protection de ces enfants. Une fois éloignés des exploiteurs certains décident de donner des informations sur le réseau facilitant grandement le travail des enquêteurs. 

C’est pourquoi, le plus efficace est que la Police, la justice, les services sociaux et les associations collaborent et travaillent ensemble dans l’objectif de protéger ces enfants.

La protection des victimes, l’enjeu actuel de la France

En France, il n’existe pas de foyer spécialisé pour les mineurs victimes de traite. Ils sont en général placés dans un foyer d’urgence, parfois proche des lieux d’exploitation, et dont l’adresse peut être facilement connue des familles. Celles-ci n’ont aucune difficulté à exercer des pressions sur les enfants placés, qui reçoivent alors l’ordre de fuguer pour ne pas subir de représailles.

La France a donc besoin de développer des foyers spécialisés, éloignés des lieux d’exploitation, dont l’adresse reste confidentielle.

L’accueil et le suivi des mineurs doit être pris en charge par une équipe spécialisée de professionnels formés sur ces formes d’exploitation. 

L’accompagnement doit intégrer un suivi psychologique important pour favoriser la reconstruction du mineur et le délivrer des mécanismes d’emprise qu’il a souvent intériorisé dès très jeune. 

Le projet Koucha

L’idée est de mettre en place un centre spécialisé d’accueil des victimes de traite. Il ne doit pas être considéré comme une fin en soi, mais comme un sas de 6 mois / 1 an pour ces mineur et d'autres victimes de traites, afin qu’ils puissent avoir un temps de reconstruction dans un lieu protégé et secret. 

L’objectif est qu’ils retrouvent ensuite un parcours d’insertion classique, dans un foyer ou une famille d’accueil.

Pour en savoir plus : 

Lire l’article du Monde sur le sujet

Voir le reportage d’Arte

L’association KOUTCHA

 L'association Koutcha a pour objectif de proposer un dispositif d’accueil particulier permettant aux mineurs victimes de traite de se libérer de l’emprise qu’ils subissent ; de bénéficier d’un accompagnement leur permettant de se reconnaître en tant que victime de traite des êtres humains et d’adhérer à un programme pédagogique individualisé, dans le droit commun, leur permettant d’intégrer après un certain temps un dispositif plus classique. Olivier Peyroux est sociologue, spécialisé sur le phénomène de la traite des êtres humains, des mineurs en particulier. Chercheur et engagé sur le terrain, il est l’auteur de plusieurs publications sur le sujet.

Article écrit en collaboration avec Olivier Peyroux, sociologue, président de l’association Koucha