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Lumière sur la traite dans le football

La traite par le sport est un phénomène encore méconnu. Pourtant, dans le football, un véritable marché s’est créé autour du rêve des jeunes Africains de venir jouer en Europe. Seulement, les agents profitent fréquemment d’un cadre législatif quasi inexistant et de l’absence de protection des jeunes joueurs pour les exploiter.

Un recrutement basé sur la promesse d’un avenir meilleur en Europe

Les recruteurs utilisent l’aspiration des jeunes Africains à venir jouer en Europe pour les séduire avec des propositions de carrière et d’avenir dans le football professionnel de l’autre côté de la méditerranée. Ensuite, les agents organisent le voyage et promettent aux joueurs de leur trouver un premier contrat avec un club à leur arrivée. Seulement, une fois en France, les jeunes doivent rembourser leur passage en Europe et les bénéfices de leur travail sont souvent accaparés par l’agent pour payer leur dette.

Au bout des 3 mois de visa touristique, les jeunes joueurs sont abandonnés par l’agent. Livrés à eux-mêmes et sans véritable prise en charge prévue pour leur situation particulière, ils sont alors fortement exposés aux risques de traite.

Il arrive aussi, lorsqu’aucune opportunité de contrat ne se présente aux agents, que les jeunes soient abandonnés dès leur arrivée en France.

Des jeunes « hors cadre » ne bénéficiant d’aucune prise en charge

Il est très difficile de prouver l’exploitation de ces victimes. La traite par le sport est méconnue en France et les agents restent souvent invisibles.

Sans preuve de recrutement ou de l’organisation du trajet en Europe par un tiers, la victime devient un migrant classique aux yeux de l’administration française. Sa vulnérabilité et son exploitation ne sont pas prises en compte et aucun accompagnement adapté à ses besoins n’existe dans le droit français.

Pour les institutions, la situation de ces victimes n’entre pas dans un cadre prévu. Elles n’ont alors que peu de chances d’accéder à la régularisation. Par ailleurs, si elles n’ont pas de réponse positive sur un territoire, elles vont tenter leur chance ailleurs. Et ces nombreux déplacements rendent leur suivi difficile.

Le parcours de Mouhamed

Mouhamed est un jeune Guinéen arrivé en France à 18 ans pour intégrer un club professionnel suite à son recrutement par un agent. Une fois sur le sol français, il a été abandonné et livré à lui-même. Son parcours illustre bien les dangers de ce type d’exploitation.

Nicolas Bezin : Comment as-tu été recruté pour venir en France ?
Mouhamed : A 14 ans, après le décès de ma mère, je suis parti de Guinée pour le Sénégal pour intégrer un centre de formation. Après quelques années, j’ai rencontré un recruteur qui m’a parlé de ses connaissances dans le football, dont certaines étaient mes idoles.

C’était le plus beau jour de ma vie. Rencontrer quelqu’un qui me propose de venir en Europe pour jouer, c’était un rêve qui se réalisait.

N. B. : As-tu eu des doutes sur les intentions de ton agent ?
M. : Non. Dans un premier temps, il ne m’a pas parlé d’argent, mais de tout ce que je pouvais réaliser dans le football.

Après toutes les galères que j’ai connu à Dakar, je me suis dit que je pourrai enfin manger à ma faim, aider ma grand-mère, ma famille en Afrique…

Ensuite, le recruteur a commencé à me demander de l’argent pour participer au voyage et pour subvenir à mes besoins quand j’arriverai en France avant de trouver un contrat professionnel. J’étais très motivé pour partir. J’ai demandé à toutes mes connaissances de financer ce projet très important pour moi. Beaucoup m’ont aidé car ils connaissaient mon rêve de devenir footballeur. Nous sommes partis à trois en avion. Le jour de notre arrivée en France, le recruteur nous a abandonnés à Marseille.

N. B. : A partir de ce moment, comment as-tu fait pour survivre ?
M. : Au départ, c’est la communauté Guinéenne à Marseille qui m’a soutenu et pris en charge. Grâce à des connaissances, j’ai atterri à Aubagne où j’ai rencontré une personne du service de prévention de la mairie qui a tenté de m’aider dans mes démarches de régularisation. J’étais très méfiant car j’avais très peur de la police mais le service m’a mis en confiance petit à petit. Il m’a orienté vers des associations pour m’accompagner ou subvenir à mes besoins. En parallèle, je faisais des petits boulots pour gagner un peu d’argent.

A ce moment-là, tu ne sais pas qui sont tes vrais amis, mais il faut tenter ta chance. Il faut prendre ce risque pour savoir. Je me suis fait avoir par moment, des personnes m’ont utilisé, d’autres m’ont fait travailler sans me payer… mais j’ai continué.

J’étais motivé pour m’en sortir, en pensant à ma famille au pays… Ensuite on m’a conseillé d’aller voir une association à Marseillle, l’OICEM. Ils m’ont invité à écrire mon parcours depuis la Guinée à aujourd’hui. Ils ont trouvé mon récit intéressant et m’ont encouragé à continuer à écrire. C’est ainsi que j’ai commencé mon livre autobiographique. Cela m’a fait beaucoup de bien. Aujourd’hui c’est devenu un livre qui a été édité par Dacres Editions.

N. B. : Quel est ton parcours depuis ton arrivée en France ?
M. : J’ai entrainé des enfants dans différentes villes. Je suis parti à Grenoble, car ma demande de titre de séjour à Marseille n’aboutissait pas. C’est là que j’ai rencontré une association qui essaie de venir en aide aux migrants à travers un réseau de familles qui les accueillent. C’est ainsi que j’ai pu être hébergé et manger. En revanche, je n’ai toujours pas obtenu ma régularisation. Malgré cela, j’ai continué à m’entrainer dans différents clubs. J’ai également suivi un CAP en « agent polyvalent restauration » pour avoir un diplôme. Puis je suis venu au club de Narbonne qui me payait un peu. Mais sans papier c’est compliqué.

N. B. : Aujourd’hui, tu continues à écrire et tu fais du rap. Quel rôle cela joue-t-il dans ta vie ?
M. : Je dirais que l’écriture est une découverte pour moi. Je n’avais jamais lu un livre auparavant. J’étais donc très surpris de pouvoir en écrire un. Le rap, c’est une façon de s’exprimer. Quand on est entre 4 murs, plutôt que de péter les plombs ou d’avoir une mauvaise mentalité, on peut se libérer avec son rap. Ça aide à sortir la colère en soi.

N. B. : Quelles sont tes projets pour l’avenir désormais ?
M. : Aujourd’hui il n’y a pas grand-chose de clair qui se dessine pour moi. Je suis toujours en démarche administrative. J’ai un récépissé qui se renouvelle tous les 6 mois sans autorisation de travail. J’avance avec ça tout de même. J’ai 24 ans. Cette année j’ai joué à un bon niveau. Je pense que je peux toujours percer dans le football. Je m’entraine tous les jours pour cela. Je continue à m’accrocher à ce rêve qui ne m’a jamais lâché. J’ai aussi commencé à écrire un deuxième livre. Il avance lentement mais sûrement.

J’ai parfois trouvé des patrons qui voulaient m’embaucher. Mais ma situation irrégulière les empêchent de m’employer légalement. D’un côté on nous demande de nous intégrer, de l’autre on ne nous donne pas le droit de travailler…

N. B. : Où en est ta situation administrative aujourd’hui ?
M. : Je suis en train de faire une demande à Carcassonne avec tout ce que j’ai réuni depuis ces dernières années : un diplôme, un contrat avec la maison d’édition, les services de bénévolat que j’ai fait dans des associations, mes entrainements des petits, mon niveau de joueur de football. J’espère qu’avec ces éléments, ça va marcher.

Mais quoiqu’il arrive, je ne baisserai pas les bras. Je ne vais jamais m’abandonner, jamais.

L’OICEM : Organisation Internationale Contre l’Esclavage Moderne

Outre l’accompagnement de personnes victimes de traite exploitées en France et en Europe, l’OICEM développe depuis plusieurs années une assistance aux personnes mineures et majeures qui ont été victimes de traite, d’esclavage, de travail forcé, durant leur parcours migratoire. 
L’OICEM offre notamment un soutien psychologique spécialisé et vient en appui aux équipes professionnelles et bénévoles qui sont de plus en plus confrontées à des récits relatant ces faits de traite et d’esclavage.


Article écrit en collaboration avec Nagham Hriech Wahabi, psychologue clinicienne et directrice de l’OICEM, et Mouhamed, jeune footballeur Guinéen.