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Traite des êtres humains et trafic de migrants

Il est fréquent de faire le lien entre trafic de migrants et traite des êtres humains. Les migrations irrégulières créent de fait un contexte propice à l’exploitation de la vulnérabilité des personnes. Mais pour lutter efficacement contre la traite et protéger les victimes, il est impératif de regarder chacune de ces réalités de manière distincte. 

  • Le trafic de migrants est le fait de faciliter le passage d’une personne d’un pays à un autre. 
  • La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne dans le but de l’exploiter. 

traite et migration

Au départ, la personne migrante fuit bien souvent des conditions de vie difficiles dans son pays d’origine et recherche un ailleurs meilleur à l’étranger. Que cette transition se fasse dans ces conditions non sûres, dramatiques pouvant conduire à la mort (environ 17 000 décès recensés en Méditerranée entre 2014 et 2018, selon l’OIM) oblige aujourd’hui les Etats et l’opinion publique à se pencher sur le sujet pour trouver des solutions. 

Les obstacles à la protection des personnes migrantes

  • Une véritable absence de protection des migrants mais aussi la violation de leurs droits de la part des autorités.
  • Un manque cruel de prévention dans les pays d’origine, de transit et de destination, qui permettrait aux potentielles victimes d’éviter certains pièges et d’avoir des recours en cas d’exploitation. Les douanes, les frontières, les aéroports… sont autant de zones dont les agents pourraient être davantage sensibilisés et formés.
  • D’un point de vue juridique, il est très difficile de porter plainte sur des faits qui se sont passés à l’étranger, et ce malgré les coopérations transnationales. Dans ce contexte, beaucoup de crimes restent impunis. Pour la victime, il est très difficile de se reconstruire quand ses souffrances ne sont pas reconnues pénalement.

Le pacte de Marrakech

Face aux réalités dramatiques de ce contexte migratoire, l’ONU a rédigé un pacte pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Ce pacte a été adopté le 10 décembre 2018 par les Etats membres. Ce document n’est pas contraignant, mais ce sont des recommandations que les Etats sont invités à suivre et des spécialiste soulignent que ce Pacte pourrait avoir des conséquences en terme de responsabilité internationale.

Parmi les 23 objectifs du pacte, l’un d’eux concerne spécifiquement la traite.
Ses mesures visent à prévenir, combattre et éliminer la traite des personnes dans le cadre des migrations internationales. Ce chapitre officialise et reconnait les liens entre traite et migration. Il devient pour nous un support que nous pouvons utiliser dans notre plaidoyer.

Les préconisations du pacte de Marrakech concernant la traite

  • Instituer des politiques globales de lutte contre la traite
  • Instaurer des campagnes de sensibilisation dans les pays d’origine, de transit et de destination de la traite. 
    Le but est double : prévenir les victimes des dangers qui peuvent apparaitre sur leur parcours et leur donner des éléments de recours et de droit.
  • Améliorer l’identification des victimes de traite parmi les migrants
    Pour cela, il est nécessaire que la justice sorte d’une relation uniquement sécuritaire avec les migrants pour tenter de créer un lien facilitant le repérage des victimes. C’est un travail à effectuer conjointement entre la police, les magistrats, les associations et les organismes sociaux.
  • Surveiller les itinéraires de migration pour mieux repérer les réseaux spécialisés dans la traite
    Il s’agit d’utiliser un maximum d’informations sur les parcours migratoires pour mieux comprendre le mode opératoire des recruteurs, intermédiaires et exploiteurs.
  • Faciliter la coopération transnationale et le partage d’informations au niveau international, national et régional. 
    Une victime rencontre de nombreux organismes (justice, associations, acteurs sociaux) au cours de son parcours. Le partage d’information entre les Etats et les structures faciliterait grandement la pertinence de l’accompagnement de la victime.
  • Favoriser la coopération des consulats afin d’identifier, protéger, assister les ressortissants se trouvant dans des situations de vulnérabilité à l’étranger. 
    Certains consulats ne sont pas sensibles à la question de la traite et cela ne facilite pas la lutte contre les réseaux et la protection des victimes. 
  • Encourager la création d’organismes de formation nationaux et régionaux spécialisés sur les traumatismes et les droits humains.

Ce pacte est une feuille de route intéressante pour les Etats adhérents. Ils peuvent s’en saisir en fonction de leurs moyens pour améliorer la lutte contre la traite des personnes migrantes dans leur pays et à l’international. 

Les limites du pacte de Marrakech

Une limite de ce pacte est la mise en place d’un fichier biométrique – attention à l’utilisation finale.

Par ailleurs, à ce jour, en France, aucune communication n’a été faite autour de ce pacte et de ce qui pourrait être développé dans un contexte de coopération société civile / institutions / Etat.

Des associations spécialisées existent pour assister les personnes victimes de traite. il convient de s’appuyer sur elles, d’autant qu’elles ont su développer une expertise à partir de leurs pratiques de terrain. 

Deux personnes migrantes concernées par la question

MONSIEUR A est électricien. 

Il travaille depuis 2008 au Qatar chez le même employeur, patron d’un grand groupe.
A plusieurs reprises, Monsieur A se rend en France avec son patron pour travailler dans la résidence secondaire que celui ci y possède. A chaque fois, il voyage avec un visa touristique de 3 ou 6 mois.

Monsieur A travaille 16 heures par jour, seul à installer l’électricité et effectuer d’autres tâches dans la propriété de son patron. Il ne reçoit quasiment pas de nourriture, le fils ainé de la famille le frappe et l’insulte.

D’autres employés, tous étrangers, sont présents : des employées de maison indiennes qui veillent sur les neuf enfants et l’entretien de la propriété ainsi que d’autres employés de sécurité.

Face à ces mauvais traitements et aux conditions de travail, Monsieur A s’enfuit dans le but de rentrer dans son pays natal. Il se rend à Genève où on lui dit qu’il sera moins coûteux de partir depuis l’Autriche. M. A prend un train pour l’Autriche. A son arrivée, il se fait voler ses affaires (passeport, argent) puis se fait contrôler par la Police, ses empreintes sont prises. Il est enfermé en centre de rétention où un avocat le positionne sur une demande d’asile alors qu'il veut absolument rentrer chez lui.

Début octobre 2017, les autorités autrichiennes renvoient Monsieur A en France, à Marseille où la plateforme de demande d’asile repère sa vulnérabilité et l’adresse à l’OICEM (Organisation Internationale contre l’Esclavage Moderne). Monsieur A est désespéré, très affecté, pleure à l’évocation de sa situation, il ne parle pas français et souhaite au plus vite rejoindre sa femme et ses deux enfants. 

Grâce à un travail conjoint avec l’OIM dans le cadre du projet CARE+ et l’OFII dans le cadre du retour volontaire, Monsieur A a pu retourner dans son pays dans de bonnes conditions et avec un projet professionnel, accompagné et soutenu financièrement.

Il apparaît que les allers et retours répétés pendant plusieurs années de Monsieur A et des autres employés également exploités, avec un visa touristique, toujours avec le même patron n’ont pas attiré l’attention des autorités.

C’est dans ce contexte que des mesures du pacte pour des migrations sûres ordonnées et régulières gagneraient à être connues de tous les acteurs qui jalonnent le parcours de personnes migrantes, dans un contexte illégal mais aussi légal.

ICHAM est un adolescent tchadien de 15 ans.

Face au contexte de pauvreté dans lequel il vit et le peu de perspectives d’avenir, il décide de quitter son pays avec un ami. C’est un proche qui lui avance l’argent nécessaire à ce voyage clandestin.

Icham rejoint la Libye et est rapidement séparé de son ami dans le flux de personnes migrantes. Il est arrêté par des personnes armées et enfermé plusieurs jours. C’est dans ce contexte que lui et d’autres hommes mineurs comme majeurs sont achetés pour être soumis au travail forcé. Icham travaillera plusieurs mois sur des chantiers et pour des particuliers comme garçon à tout faire. Il ne perçoit pas de salaire, vit dans des conditions indignes et subit des maltraitances.

Lorsqu’il parvient à s’enfuir, il est contraint d’accepter différents petits travaux afin de réunir la somme nécessaire à la traversée de la Méditerranée. Il subit régulièrement des abus, maltraitances et assiste à des exécutions sommaires.

Au bout de plusieurs mois, il parvient à payer un passeur et rejoint les côtes italiennes. Ayant des notions en langue française, il quitte l’Italie pour la France. Il est identifié comme mineur non accompagné à Marseille et confié à l’Aide sociale à l’enfance. L’OICEM lui apporte un soutien psychologique et lui a donné des cours de français pendant un an.

 

Là encore le parcours migratoire de ce jeune mineur interroge sur les protections existantes dans les différents pays traversés. 

 

L’OICEM Organisation Internationale Contre l’Esclavage Moderne

Outre l’accompagnement de personnes victimes de traite exploitées en France et en Europe, l’OICEM développe depuis plusieurs années une assistance aux personnes mineures et majeures qui ont été victimes de traite, d’esclavage, de travail forcé, durant leur parcours migratoire. 
L’OICEM offre notamment un soutien psychologique spécialisé et vient en appui aux équipes professionnelles et bénévoles qui sont de plus en plus confrontées à des récits relatant ces faits de traite et d’esclavage.

Nagham Hriech Wahabi, contributrice de ce document, est directrice de l'OICEM


Crédits photo : Secours Catholique / L.Charrier-myop

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