Coordination : Geneviève Colas - genevieve.colas@secours-catholique.org - 06 71 00 69 90

Améliorer l’accès à l'indemnisation pour les victimes de traite

Pour garantir que les victimes de la traite et les personnes exploitées dans le cadre du travail puissent exercer leur droit à réparation sans aucun obstacle, le CCEM participe à une campagne qui invite les représentants élus européens et les gouvernements européens à s'engager.

Cette campagne, en partie » financée par le Programme Justice de l'Union européenne (2014-2020), a été lancée dans le cadre du projet "Justice enfin - Action européenne pour l'indemnisation des victimes de la criminalité".

Il s’agit d’améliorer l'accès à la justice pour les victimes d'actes criminels et de demander aux gouvernements nationaux d'améliorer et de garantir l'accès à l'indemnisation des victimes dans la pratique.
En effet, l'indemnisation et le recouvrement des salaires impayés sont des aspects essentiels de l'accès à la justice pour les victimes d'actes criminels.

Pour les victimes de la traite des êtres humains et d'autres formes d'exploitation par le travail ou de violence sur le lieu de travail, l'indemnisation est un instrument de justice réparatrice et de prévention de toute nouvelle exploitation. C'est aussi une reconnaissance de la violation de leurs droits, des dommages qu'ils ont subis et des salaires qui leur sont dus.

Ces dernières années, l'indemnisation et le recouvrement des salaires impayés ont été de plus en plus à l'ordre du jour en Europe. Les droits des victimes de la traite des êtres humains ont été établis dans le droit communautaire et international. Malgré le cadre juridique en place, la recherche et l'obtention d'une indemnisation restent difficiles, voire souvent impossibles dans la pratique. Le constat est clair : peu de victimes ont les moyens de demander réparation.

Un certain nombre d'obstacles juridiques, procéduraux, financiers et pratiques entravent l'accès des victimes de la traite et des personnes exploitées à des recours utiles, notamment à l'indemnisation.

Cette situation est exacerbée dans le cas des migrants sans papiers ou en situation irrégulière qui sont exposés de manière disproportionnée à l'exploitation et aux abus.

Les membres du Parlement européen, du Comité des Parties à la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains, de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et de l'OSCE sont invités à : 

Aider toutes les victimes de traite et de l'exploitation à signaler leur situation et à accéder à la justice, y compris lorsqu'elles sont sans papiers.
Les victimes en situation irrégulière ne sont souvent pas en mesure de signaler l'exploitation, car elles risquent d'être arrêtées et expulsées en raison de leur statut irrégulier. Il faut permettre aux travailleurs de déposer une plainte en toute sécurité auprès de la police, des autorités du travail et des tribunaux, et d'avoir accès aux services et à la justice, sans devoir faire face uniquement aux services de l'immigration. Cela permettrait d'autonomiser les travailleurs, de faire respecter les droits fondamentaux, de lutter contre les abus et de promouvoir des pratiques commerciales équitables. Cela garantirait également que tous les cas fassent l'objet d'enquêtes appropriées, que les auteurs soient tenus responsables de leurs actes et que toutes les victimes puissent se manifester.

Il faut permettre aux travailleurs victimes de traite de déposer une plainte en toute sécurité auprès de la police, des autorités du travail et des tribunaux, et d'avoir accès aux services et à la justice.

Donner aux victimes de traite des êtres humains l'accès à l'information et à des services juridiques gratuits, les aider à présenter des demandes d'indemnisation.
En effet, l'information et l'assistance juridique sont essentielles pour appréhender les procédures et accéder à l'indemnisation et à l'assistance juridique. Une représentation juridique spécialisée est nécessaire pour obtenir une indemnisation en matière pénale, civile et pénale et pour mener à bien des procédures administratives. Toutefois, l'aide juridique financée par l'État n'est pas toujours possible pour toutes les personnes exploitées et peut avoir une portée limitée ou dépendre du statut de résidence et du domicile de la victime.
De plus, en  général, l'accès à une aide juridique spécialisée et de qualité est limitée. Les victimes devraient recevoir des informations sur leurs droits de manière compréhensible, dès le premier contact. L'aide juridique devrait être accordée à toutes les personnes  exploitées, ainsi que des mesures visant à soutenir la spécialisation de professionnels du droit pour aider et représenter les victimes de la traite et des infractions connexes dans leurs procédures d'indemnisation. 

Une représentation juridique spécialisée est nécessaire pour obtenir une indemnisation en matière pénale, civile et pénale et pour mener à bien des procédures d'indemnisation.

Veiller à ce que le calcul des dommages-intérêts soit équitable, adéquat, transparent et fondé sur des données claires.
A l'heure actuelle, il existe des différences importantes entre les montants d'indemnisation réclamés et les montants accordés aux victimes de la traite et de l'exploitation par le travail. Jusqu'à présent il n'existe pas de lignes directrices harmonisées au niveau européen pour le calcul des dommages et intérêts pour les victimes et les paiements d'attributions de rémunération.

Le calcul des dommages-intérêts devrait être élaboré de manière à garantir le respect des principes d'égalité et de transparence.

Améliorer les enquêtes financières et le recouvrement des avoirs :
un obstacle majeur à l'accès à l'indemnisation des victimes de la traite et des victimes de crimes connexes est que les auteurs ne sont pas retrouvés, ou ne sont pas poursuivis, ou ont déplacé leurs biens à l'étranger, ou se sont déclarés en faillite afin d'éviter la confiscation de leurs biens et d'être obligés de payer l'indemnisation. Les enquêtes financières pour l'identification, le dépistage et la saisie d'avoirs criminels ont eu une portée et une efficacité limitées. Les enquêtes criminelles devraient comprendre une enquête financière à un stade précoce de la procédure afin d'établir l'étendue de l'illégalité de l'infraction.

La  saisie et la confiscation des biens de valeur devraient pouvoir servir à répondre à la demande d'indemnisation de la victime après la condamnation de l'auteur de l'infraction.

Promouvoir une coopération transnationale et transfrontalière pour l'accès à l'indemnisation.

Une coopération adéquate entre toutes les parties prenantes concernées aux niveaux national et international est nécessaire pour assurer l'accès à l'indemnisation.
Les victimes sont souvent confrontées à des défis dans la poursuite de leurs objectifs en matière de demande d'indemnisation après un retour volontaire ou forcé dans d'autres pays, pour diverses raisons. Il s'agit notamment des questions liées à la continuité de l'assistance et de la représentation juridiques ou à la transmission des demandes d'indemnisation d'un État membre à l'autre. Une coopération internationale et à des mécanismes d'orientation efficaces sont nécessaires entre les forces de l'ordre, les enquêteurs financiers, les ONG et les avocats pour garantir une "justice transférable". Il faut aussi sensibiliser le public au fait que les victimes peuvent toujours demander et recevoir une indemnisation, une fois qu'elles ont quitté le pays.

Une coopération internationale et des mécanismes d'orientation efficaces sont nécessaires entre les forces de l'ordre, les enquêteurs financiers, les ONG et les avocats pour garantir une "justice transférable".

Lever les critères d'éligibilité aux fonds d'indemnisation de l'État pour garantir l'accès à toutes les victimes de la traite et les personnes exploitées, y compris les travailleurs sans papiers.
La plupart des régimes d'indemnisation publique disponibles pour les victimes de crimes accordent des subventions financières aux victimes. Les victimes de la traite et de l'exploitation sont souvent exclues de l'accès à l'indemnisation des dommages tels que les frais médicaux, les dommages matériels, et parfois des pertes de revenus soit du fait de critères d'éligibilité, soit dans la pratique, en raison de leur statut de résident ou parce que leur situation professionnelle est irrégulière. Certains régimes existent pour les victimes de crimes violents, mais ils exigent souvent une preuve de violence physique, à l'exclusion des victimes qui ont fait l'objet d'un trafic au moyen de formes subtiles de coercition ou de tromperie. Les victimes devraient être indemnisées pour les salaires impayés ou la perte de revenus quel que soit le statut de la victime au regard du séjour ou du travail.

L'accès à l'indemnisation publique devrait être garanti quel que soit le statut de résident et le pays d'accueil.

Une collaboration entre associations

Cette campagne est coordonnée par  La Strada International - Plate-forme européenne d'ONG de lutte contre la traite des êtres humains qui rassemble uniquement des ONGs européennes spécialisées dans la lutte contre la traite et l'accompagnement des victimes de traite.

L'objectif premier de la Plate-forme réunissant 25 ONG est de permettre aux victimes de traite l'accès à la protection et à la justice par la promotion de leurs droits universels, notamment le droit d'être protégé contre la violence et les abus.

Le réseau apporte un poids considérable aux revendications. L’ensemble des ONG affiliées sont opérationnelles, ce qui permet aux membres d’échanger sur des problématiques concrètes et sur les pratiques. Quand certains sujets sont partagés par plusieurs ONG, des projets communs sont mis en place à travers une collaboration internationale. L’officialisation du réseau en structure associative lui permet désormais de porter un certain nombre de projets en son nom. 

Quelques sujets, parmi d’autres, discutés lors de la rencontre de la Strada en Turquie en novembre dernier :
interview de Mona Chamass, directrice du CCEM

"La rencontre a été l’occasion d'échanger des pratiques de terrain et d’avancer sur un plan opérationnel.Un plan d'action de 10 points a été ainsi identifié pour toutes les associations, notamment concernant la charte des engagements des ONG membres de la plateforme mais surtout sur des questions opérationnelles comme l'inconditionnalité de l'accès aux droits pour les victimes, la reconnaissance et l'identification de toutes les formes d'exploitation,l'accès sécurisé aux mécanismes de plainte et à la protection administrative, l'accès à l'indemnisation, la non criminalisation des victimes, le rôle essentiel des ONGs et des moyens qui doivent leur être accordés.

D'autres sujets ont été évoqués par les ONGs participantes et qui font alors l'objet de groupe de travail spécifique, comme par exemple la place de la participation des victimes ou bien la vulnérabilité des travailleurs migrants.

Sur la question de la participation des victimes, plusieurs ONG sont réticentes sur le fait de faire témoigner les victimes. Nous savons qu’à chaque fois qu’elles évoquent leur récit de vie, elles revivent leur histoire et ses traumatismes. Ce sont des moments très difficiles pour elles.
Or, certaines ONG ont partagé le travail qu’elles avaient effectuées sur des vidéos basées sur la vie des victimes, dans lesquelles celles-ci ne jouaient pas. Elles n’avaient pas besoin de témoigner, mais elles ont été sollicitées pour donner leur avis sur les scénarios afin que ceux-ci se rapprochent au maximum de leur propre réalité.
C’est une solution qui a inspiré de nombreux participants. 

Nous avons également abordé la question des victimes travailleurs migrants et leur vulnérabilité. Un sujet qui nécessite un travail d'accompagnement certes mais aussi de prévention et d'information auprès des consultants et ambassades dans les pays d'origine afin de mieux informer les travailleurs sur leurs droits avant leur départ.

Un autre sujet a été identifié pour un travail de mise à jour d'échanges de pratique dans l'avenir, la question des vicitmes exploitées par des diplomates. Dans certains cas, l’immunité diplomatique protège l’exploiteur qui ne peut être poursuivi en justice. Or, dans certains pays comme la Belgique par exemple, des conventions sont signées avec les ambassades afin d’éviter ce genre de situation. La question était de savoir comment étendre ce genre de mécanismes à d’autres pays pour rendre justice aux victimes. En France, un service au ministère des affaires étrangères a pour mission de recevoir les employés de diplomates pour les informer de leurs droits. Or, certaines victimes arrivent en tant qu’employéeau sein du consulat ou de l’ambassade, ce qui permet de contourner ce dispositif. Nous nous sommes rendu compte que cette méthode est assez répandue dans d’autres pays. Devant ces stratégies de contournement, une réflexion et une mise à jour  sur les pratiques existantes doit être menée pour identifier les actions opérationnelles et le plaidoyer à porter pour enrayer ce phénomène."
 

Le Comité Contre l’Esclavage Moderne

Depuis 1994, il dénonce toutes les formes d’esclavage contemporain partout dans le monde. Il assure un accompagnement social et juridique des victimes de travail esclave, et de traite à des fins économiquess. En 25 ans, le CCEM a accompagné plus e 850 victimes.


Article rédigé avec la contribution de Mona Chamass, directrice du CCEM