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La régularisation administrative contribue à la reconstruction des femmes étrangères victimes de traite

Après la première phase d’identification des femmes victimes de traite à des fins d'exploitation sexuelle, la régularisation administrative est essentielle afin que la victime puisse ouvrir des droits (notamment couverture médicale, ressources, accès au logement), se sentir en sécurité (ne pas être expulsé du territoire vers son pays d’origine), s’émanciper (accès à la formation, l’école).

Les pratiques ne sont pas homogènes sur le territoire et un décalage entre le cadre théorique légal et les pratiques préfectorales.

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Les difficultés rencontrées

Fréquemment, les victimes de traite ne sont en capacité de prouver leur identité. Il n’est pas rare que les exploiteurs confisquent les papiers d’identité de leurs victimes pour les garder sous leur emprise. Par ailleurs, certaines personnes n’ont jamais été enregistrées à l’état civil dans leur pays d’origine.
Ces victimes sont donc exclues de la voie de régularisation la plus rapide, c’est-à-dire la demande d’une carte de séjour via l’article 316-1, car les préfectures exigent très souvent de prouver son identité, et ce malgré le fait qu’elles soient en procédure judiciaire.
En situation irrégulière, il est très compliqué de s’impliquer dans la procédure contre les exploiteurs.

La lenteur administrative


La demande d’asile peut durer plusieurs mois. 

Si la personne est déboutée de sa demande d’asile, une demande de réexamen peut être introduite si de nouveaux éléments apparaissent. 

Bien que le récépissé de la demande ouvre le droit au logement, aux allocations et à la CMU, les victimes n’ont pas le droit de travailler durant cette période, ce qui retarde leur intégration et leur véritable reconstruction.

Le timing de la demande d’asile

La planification de la demande d’asile nécessite parfois que le récit de la victime soit élaboré très rapidement. Or, pour obtenir un récit circonstanciel abouti, il est nécessaire d’instaurer une relation de confiance avec la victime, que celle-ci comprenne l’utilité de son récit, et qu’elle ait pu exprimer toutes les étapes de son parcours, souvent traumatisant.

Ce cheminement ne se dicte pas mais s’inscrit dans le temps, souvent sur plusieurs semaines d’accompagnement, sans quoi le récit risque d’être incomplet, imprécis ou flou.

L’exemple de Joy, Nigériane victime de traite à des fins d’exploitation sexuelle.

Juin 2014 : Joy arrive en France.
Elle est alors mineure mais se déclare majeure. 
Rapidement, sa "Madame" lui fait déposer une demande d’asile sur la base d’une fausse identité et d’un faux récit.

Janvier 2016 : Joy est déboutée de sa première demande d’asile.
S’ensuit plus de deux années d’exploitation dans différentes villes de France durant laquelle Joy est dans une situation administrative irrégulière. 

Avril 2018 : Joy dépose une deuxième demande d’asile. 
Pour la première fois, elle exprime dans son récit qu’elle est venue par l’intermédiaire d’un réseau de traite. Cependant, craignant les représailles des trafiquants sur sa famille, elle ne divulguera pas toutes les informations les concernant. De plus, se trouvant dans une situation de prostitution de survie, elle ne parvient pas à démontrer qu’elle a pris ses distances avec son exploiteur. 

Juin 2018 : Sa seconde demande d’asile est rejetée.

Juillet 2018 : Elle dépose un recours auprès de la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile) avec l’aide d’une avocate. 

Décembre 2018 : Sa "Madame" est interpellée par un service de police spécialisée. 
Joy est alors identifiée comme victime et entendue en tant que telle. Elle dépose plainte contre sa "Madame".

Février 2019 : Elle est entendue à la CNDA

Mars 2019 : Sa demande d’asile est définitivement rejetée. 
Bien que Joy a su établir qu’elle était victime de traite, elle n’a pas pu démontrer qu’elle avait coupé tous les liens avec son réseau du fait d’une prostitution de survie et d’un contexte de logement partagé avec des membres de sa communauté. Le fait que sa plainte n’ai pas été déposée de façon pro-active mais à l’issue du démantèlement de réseau n’a pas joué en sa faveur.

Avril 2019 : Admission de Joy au foyer d’AFJ.
Elle ne possède alors aucun document d’identité et ses droits ne sont pas ouverts. Par ailleurs, l’enregistrement de son identité lors de sa demande d’asile est fausse. 
Joy intègre une formation de français. Elle se constitue partie civile contre sa "Madame". 
Son dépôt de plainte lui permet de bénéficier d’une carte de séjour temporaire au titre de l’article L316-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).
Avec l'association, elle tente alors d’obtenir une attestation consulaire afin de prouver son identité. Ce qui permettrait à Joy de déposer une demande de titre de séjour à la préfecture.
Joy demande donc à sa famille au Nigéria de lui faire parvenir un acte de naissance. 

Novembre 2019, les démarches auprès de l’ambassade du Nigeria en France n’aboutissent pas.
Depuis, avec l'AFJ, Joy entreprend de nouvelles démarches auprès du Nigéria pour obtenir un nouveau document d’identité dans le but de déposer une demande de titre de séjour et de régulariser sa situation administrative. 

 

L'association AFJ

C’est une association comprenant un foyer de mise à l’abri de 12 places et un appartement de 3 places à destination des femmes victimes de traite à des fins d’exploitation sexuelle.

Elle propose un accompagnement global des victimes : mise à disposition d’un hébergement, suivi administratif (ouverture des droits et régularisation administrative), suivi psychologique, actions éducatives d’insertion (apprentissage du français, accompagnement d’insertion professionnelle). Des activités sont proposées aux femmes au sein du foyer.

L’Accompagnement est effectué par une équipe de professionnels et des bénévoles. 


Article rédigé en collaboration avec Magali Poirier, chef de projet de l’association.