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Une étude sur la traite et l'exploitation des êtres humains depuis 2016

Dans le cadre de la mesure 9 du second Plan d'action national contre la traite des êtres humains, le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) et le Service statistique ministériel du ministère de la Justice (SDSE) publient conjointement l'étude annuelle sur la traite et l'exploitation des êtres humains en France.

Elle présente les données connues des autorités et vient compléter l’enquête annuelle sur les victimes de traite des êtres humains accompagnées par les associations.

Geneviève Colas : Pourquoi cette étude a vu le jour ?
Miti Le Cam : Cette étude s’inscrit dans le cadre du Second plan d’action national contre la traite des êtres humains.

Il préconise, par sa mesure 9, de « publier annuellement les données administratives disponibles en France » dans le but d’améliorer la connaissance de ce phénomène criminel.

Elle présente les données du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) sur les procédures enregistrées par les services de police et de gendarmerie, complétées par les données de la Direction générale des étrangers en France (DGEF) sur les titres de séjour et de celles de la Sous-direction de la statistique et des études (SDSE) du ministère de la Justice sur les affaires, les personnes poursuivies et les condamnations. Depuis 2021, le SSMSI est chargé du pilotage de cette mesure.  
 
GC : Quelle complémentarité entre l'enquête sur les victimes accompagnées par les associations et l'approche par les données administratives ?
Miti Le Cam : D’un côté, l’enquête sur les victimes accompagnées par les associations permet d’obtenir des informations sur des victimes qui ne seront pas toujours connues des autorités. En effet, selon les données de la dernière enquête, seules 38 % des victimes accompagnées par les associations ont déposé plainte. Les associations sont souvent les premières interlocutrices des victimes. En raison de l’emprise de l’exploiteur sur la victime, l’accompagnement peut prendre plusieurs années. Les associations disposent donc d’informations précieuses relatives aux victimes accompagnées, par exemple sur leur condition d’exploitation, ce que ne permettent pas les données administratives. Toutefois, cette enquête est basée sur le volontariat des associations et n’a pas de prétention à l’exhaustivité, ni à la représentativité. Les résultats sont donc dépendants des associations répondantes.

Les données administratives permettent en revanche d’analyser les caractéristiques des victimes et des mis en cause connus des services, ainsi que d’obtenir des informations sur les titres de séjour délivrés, les personnes poursuivies et les condamnations.

In fine, les données issues de l’enquête sur les victimes de traite des êtres humains accompagnées par les associations et celles issues des données administratives apportent des informations complémentaires permettant de mieux cerner ce phénomène criminel.
 
GC : Combien de procédures pour des infractions de traite et d'exploitation des êtres humains ont été enregistrées en France par les services de police et de gendarmerie nationales ?
Miti Le Cam : En 2021, 881 procédures pour des infractions de traite et d’exploitation des êtres humains ont été enregistrées par les services de police et de gendarmerie nationales. Ce nombre est en baisse (-7 %) par rapport à 2019, année de référence avant la crise sanitaire, même s’il augmente de 12 % entre 2016 et 2021. Plus de la moitié des procédures enregistrées en 2021 sont liées à des infractions de proxénétisme et 29 % à des infractions d’exploitation par le travail.

GC : Cela représente combien de victimes de traite ou d'exploitation des êtres humains ?
Miti Le Cam : Le nombre de victimes de traite et d’exploitation des êtres humains enregistrées par les services de police et de gendarmerie a augmenté de 26 % entre 2016 et 2021, passant de 1 439 à 1 811 victimes. Parmi les victimes enregistrées en 2021, 58 % ont été victimes d’une infraction de proxénétisme, 28 % d’une infraction d’exploitation par le travail, 18 % d’une infraction de traite des êtres humains (au sens strict) et 2 % d’une infraction d’exploitation de la mendicité (une seule victime peut subir plusieurs types d’infractions, d’où un total supérieur à 100).

GC : Quels sont les profils de victime ?
Miti Le Cam :

Les femmes sont surreprésentées parmi les victimes d’infractions de traite et d’exploitation des êtres humains (72 %), à l’exception des infractions d’exploitation pour le travail où elles ne constituent que 34 % des victimes. En outre, plus de la moitié des victimes enregistrées ont entre 15 et 29 ans (52 %).

En 2016, 40 % des victimes de traite ou d’exploitation des êtres humains étaient françaises, tandis qu’en 2021, elles représentent la moitié des victimes (51%), hausse qui peut s’expliquer par l’augmentation des victimes d’infractions de proxénétisme. Enfin, en 2021, 225 ressortissants étrangers ayant déposé plainte ou témoigné contre des personnes accusées d’avoir commis des infractions de traite ou de proxénétisme se sont vus délivrer une carte de séjour temporaire.

GC : Combien de personnes ont été mises en cause ?
Miti Le Cam : La hausse des mis en cause pour une infraction entrant dans le champ de la traite ou de l’exploitation des êtres humains est encore plus nette que pour les victimes, avec une augmentation de 51 % entre 2016 et 2021.

GC : Quelles sont leurs caractéristiques ?
Miti Le Cam : Sur les 2 126 mis en cause enregistrés en 2021, 16 % l’ont été pour des infractions de traite des êtres humains (au sens strict) et 13 % pour des infractions d’exploitation par le travail (une personne pouvant être mise en cause pour plusieurs infractions). Les personnes mises en cause pour des infractions de proxénétisme constituent la majorité des mis en cause pour traite ou exploitation des êtres humains (80 % en 2021).

Les mis en cause pour des faits de traite et d’exploitation des êtres humains enregistrés par les services de police et de gendarmerie sont majoritairement des hommes (70 %) et des personnes majeures (94 %), tous groupes d’infractions confondus.

Toutefois, les femmes sont surreprésentées parmi les personnes mises en cause pour des infractions d’exploitation de la mendicité (56 %). Sur la période 2016-2021, 60 % de l’ensemble des mis en cause pour traite ou exploitation des êtres humains sont de nationalité française, cette part variant significativement selon le groupe d’infractions étudié.

Cette tendance s’accentue plus particulièrement en 2021 : 68 % des mis en cause sont de nationalité française contre 51 % en 2016.

GC : Les infractions de traite et d'exploitation se répartissent-elles de façon égale sur le territoire français ?
Miti Le Cam : Non, au contraire, les infractions de traite et d’exploitation se répartissent de façon inégale sur le territoire.

Dans les grandes unités urbaines, plus de la moitié des infractions sont relatives au proxénétisme, tandis que dans les communes rurales, 52 % sont liées à de l’exploitation par le travail.

De plus, l’Ile-de-France ainsi que les départements des Bouches-du-Rhône, de la Gironde, des Alpes-Maritimes, du Rhône et du Nord concentrent presque deux tiers des infractions.
 
GC : Et qu'en est-il de l'outre-mer ?
Miti Le Cam : Du côté des départements d’Outre-mer, sur la période 2016-2021, le nombre moyen d’infractions de traite et d’exploitation des êtres humains commises pour 100 000 habitants varie de 1 infraction à la Réunion à 3,4 infractions en Guyane. Toutefois, ces départements n'enregistrent pas un nombre élevé d'infractions de traite et d’exploitation des êtres humains.
 
GC : Comment se passe concrètement la procédure ?
Miti Le Cam : Dans le cadre de leur activité judiciaire, les services de police et de gendarmerie rédigent des procédures relatives à des infractions avant de les transmettre à l’autorité judiciaire qui est susceptible de les requalifier par la suite. Ces infractions ont pu être constatées à la suite d’une plainte, d’un signalement, d’un témoignage, d’un délit flagrant, d’une dénonciation ou encore à l’initiative des forces de l’ordre. Plusieurs infractions peuvent être enregistrées au sein d’une même procédure. Ainsi, dès lors que les services de police ou de gendarmerie ont constaté une infraction et ont pu y associer une victime ou un mis en cause, la procédure est transmise au parquet, c’est-à-dire au service du procureur de la République. C’est le parquet qui va statuer sur le caractère poursuivable ou non de l’affaire.

Pour le traitement statistique, l’affaire est considérée comme non poursuivable si aucun auteur n'a été identifié, si l’infraction est insuffisamment caractérisée ou encore s’il y a une irrégularité dans la procédure.

Si l'affaire est poursuivable, le parquet peut choisir entre plusieurs orientations à savoir un classement sans suite pour inopportunité des poursuites (par exemple parce que le préjudice causé était peu important), des mesures alternatives aux poursuites (dont la composition pénale), une poursuite devant le tribunal ou la saisine d’un juge d’instruction si l’auteur est poursuivi. Le juge d’instruction rendra un non-lieu ou renverra à une juridiction de jugement. La juridiction rendra alors une décision qui sera un acquittement en matière criminelle ou une relaxe en matière délictuelle ou bien une condamnation.
 
GC : Combien de personnes ont été condamnées depuis 2016 ?
Miti Le Cam : Entre 2016 et 2021, 5 600 personnes ont été condamnées pour un délit de traite ou d’exploitation des êtres humains.

Sur ces personnes condamnées, 70 % l’ont été pour proxénétisme, 27 % pour exploitation par le travail, 9 % pour traite des êtres humains et 1 % pour exploitation de la mendicité, le total étant supérieur à 100 % dans la mesure où une même personne peut être condamnée simultanément pour des infractions de types différents.

Concernant la teneur de ces condamnations, une peine privative de liberté a été prononcée dans 95 % des condamnations pour une infraction principale de traite ou exploitation des êtres humains, et une peine au moins en partie ferme dans 71 % des cas. Enfin, selon les données du fichier du Casier judiciaire national des personnes physiques, sur la période 2016-2020, 30 personnes ont été condamnées pour un crime de traite ou d’exploitation des êtres humains. Ces dernières ont toutes été condamnées pour une infraction principale de proxénétisme. La durée moyenne de la peine d’emprisonnement ferme a été de 4,5 ans.

GC : A-t-on des caractéristiques des personnes condamnées pour traite ?
Miti Le Cam :

Sur ces 5 600 personnes condamnées, un quart sont des femmes (26 %), alors qu’elles ne représentent que 10 % des condamnés pour l’ensemble des délits.

Elles sont notamment surreprésentées parmi les condamnés pour traite des êtres humains (47 %), lorsque les hommes sont eux surreprésentés parmi les condamnés pour exploitation par le travail (82 %).

En outre, plus de la moitié des condamnés sont de nationalité étrangère (55 %), contre seulement 16 % sur l’ensemble des condamnés pour délits.

Les types d’infractions de traite ou d’exploitation des êtres humains se différencient assez nettement selon la nationalité des auteurs : deux tiers des condamnés pour exploitation de la mendicité sont ressortissants d’un pays de l’Union européenne (hors France) ; 4 condamnés pour traite sur 10 sont issus des pays d’Afrique subsaharienne.

En savoir plus :

> Sur Interstats (SSMSI)
> Sur Infostat (SDSE)
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