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Créer un mécanisme national de référence pour l'effectivité des droits des victimes de traite des êtres humains

Interview de Magali Lafourcade, Secrétaire générale de la CNCDH. Présidente du Sous-comité chargé de l’accréditation des Institutions nationales des droits de l’homme auprès des Nations unies

1/ Pourquoi la CNCDH (rapporteur national sur la traite des êtres humains) a-t-elle rédigé un avis sur la création en France d'un mécanisme national de référence pour la détection, l'identification, l'orientation et l'accompagnement des victimes de traite ?


C’est à l’unanimité que la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a adopté, le 28 avril dernier, l’avis relatif à la création d’un « mécanisme national de référence » pour l’effectivité des droits des personnes victimes de traite des êtres humains. La création de ce mécanisme correspond à une demande ancienne de la CNCDH qui s’inscrit dans le mandat de rapporteur national indépendant sur la lutte contre la traite des êtres humains qui lui a été confié en 2014. 

La CNCDH est, à ce titre, chargée de conseiller les pouvoirs publics mais aussi d’évaluer, en toute indépendance, la politique publique qui est menée en France pour lutter contre ce fléau. Elle rend compte de ses analyses et recommandations à la Commission européenne, mais aussi au Conseil de l’Europe et aux Nations unies.

Le choix de consacrer une analyse approfondie à ce « mécanisme national de référence » visait à contribuer à la réflexion en cours, coordonnée par la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof). C’est une réflexion qui s’inscrit dans le cadre plus général du Second plan d’action national (2019-2021), présenté en octobre 2019 par le Gouvernement, dont l’une des mesures vise à créer ce mécanisme. 

En formulant sa vision d’un mécanisme efficace pour la détection, l’identification, l’orientation et l’accompagnement des victimes de traite, présumées ou avérées, la CNCDH cherche à peser sur les arbitrages politiques qui seront rendus. 

2/ Quels en sont les points majeurs ?  


La CNCDH entend insister sur le principe de protection qui doit guider l’identification et l’accompagnement des victimes, mineures ou majeures. 

Elle préconise un système de double identification, préliminaire puis formelle, assis sur une protection de la victime potentielle, dès le stade de la détection : par exemple, un suivi psychologique ou un hébergement. C’est la condition pour mettre la personne en situation de partager son récit.

A cette fin, il est essentiel de s’appuyer sur un réseau d’acteurs de terrain, en donnant une valeur officielle à l’analyse qu’ils font de la situation, et donc à la décision sur la reconnaissance du statut de victime par la suite. 
Quant à la phase d’identification formelle, elle ne doit en aucun cas être conditionnée par une obligation faite à la victime de participer à l’enquête judiciaire. Ce type de conditionnalité crée une pression énorme et s’avère contreproductive, en décourageant les victimes. Il s’agit d’être cohérent avec nos valeurs.

La traite viole tous les droits humains de ses victimes. Les protéger de façon inconditionnelle est donc un impératif en soi. 

Enfin, s’agissant de l’accompagnement des victimes, la CNCDH formule une série de propositions concrètes pour remédier aux dysfonctionnements et faiblesses qu’elle a pu observer. Il s’agit d’offrir un cadre plus protecteur pour les personnes en renforçant la coopération entre acteurs et en adaptant les structures, afin d‘éviter les ruptures d’accompagnement.

3/ Quels résultats sont attendus ?


La France s’est engagée, à travers ses Plans nationaux d’action, à mettre en œuvre une véritable politique publique de lutte contre la traite. Un réel effort doit être mené pour protéger les victimes. Et c’est précisément le principal objectif du mécanisme national de référence, d’autant qu’une protection accrue des victimes constitue un levier pour une amélioration du processus judiciaire, à la source d’une meilleure prévention sur le long terme.
Le dialogue avec la Miprof étant très ouvert, nous espérons que nos recommandations seront prises en compte.  
La CNCDH adopte une approche par les droits qui vise concrètement l’effectivité des droits des victimes. C’est là le principal résultat attendu.

C’est la raison pour laquelle elle demande une évaluation du contexte (acteurs, services et structures), permettant de structurer le mécanisme autour des besoins identifiés, comme par exemple, l’augmentation de l’offre d’hébergement ou une meilleure application du principe de non-sanction des victimes de traite contraintes à commettre des infractions. 

Certaines des attentes de la CNCDH sont centrales et anciennes : le fait de dissocier l’identification d’une victime de traite de sa capacité ou de sa volonté à coopérer avec les autorités, ou encore le fait d’établir des critères d’identification adaptés aux différents professionnels qui sont en capacité de les repérer, et aux différents types d’exploitation. 

4/ Quelle dimension internationale ?  


La mise en place d’un mécanisme national de référence correspond à une demande des organisations internationales qui appuient les Etats dans la lutte contre la traite, et de l’OSCE en particulier.

Ce mécanisme est un gage de meilleure coopération transnationale, d’autant plus essentielle que nous sommes face à un phénomène criminel qui se joue des frontières. La France est à la fois un pays de transit et de destination pour les victimes de traite.

Mais cette dimension internationale ne doit pas occulter celle purement locale de la traite, qui existe aussi. 
Au-delà de la dimension internationale du phénomène lui-même, la dimension internationale de notre action, en tant qu’Institution nationale des droits de l’homme accréditée auprès des Nations unies, est particulièrement stratégique dans le plaidoyer que nous menons. Nous constatons que ce sujet, qui a pourtant une résonnance majeure pour les droits fondamentaux des victimes, est souvent peu porté politiquement en France. C’est d’autant plus surprenant que dans d’autres pays et pour les organisations internationales, l’intérêt politique et médiatique pour ces questions est énorme.

C’est pour nous un levier d’influence de mobiliser la Commission européenne, le Groupe d’experts sur la lutte contre la traite du Conseil de l’Europe (GRETA), ou encore les différents mécanismes des Nations unies qui se consacrent à cette question.

L’appui des organisations internationales dans le dialogue que la CNCDH et la société civile ont avec le Gouvernement est souvent déterminant pour faire évoluer les choses. C’est la raison pour laquelle l’avis de la CNCDH a été traduit en anglais (Creation of « a national referral mechanism » in France to ensure effectiveness of the rights of victims of trafficking in human beings) et transmis à nos interlocuteurs et partenaires internationaux.

Consulter l'avis de la CNCDH

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Créée en 1947 sous l'impulsion de René Cassin, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) est l'institution nationale de promotion et de protection des droits de l'homme française, accréditée de statut A par les Nations unies.

L'action de la CNCDH s'inscrit dans une quadruple mission : 

Conseiller les pouvoirs publics en matière de droit de l'homme ;

Contrôler l'effectivité des engagements de la France en matière de droits de l'homme et de droit international humanitaire ;

Assurer un suivi de la mise en oeuvre par la France des recommandations formulées par les comités de suivi internationaux et régionaux ;

Sensibiliser et éduquer aux droits de l'homme.

L'indépendance de la CNCDH est consacrée par la loi. Son fonctionnement s'appuie sur le principe du pluralisme des idées. Ainsi, seule institution assurant un dialogue continue entre la société civile et les experts français en matière de droits de l'homme, elle est composée de 64 personnalités qualifiées et représentants d'organisations non gouvernementales issues de la société civile.

La CNCDH est le rapporteur national indépendant sur la lutte contre toutes les formes de racisme depuis 1990, sur la lutte contre la traite et l'exploitation des êtres humains depuis 2014, sur la mise en euvre des Principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l'homme depuis 2017, et sur la lutte contre la haine anti-LGBT depuis avril 2018.


Interview de Magali Lafourcade, Secrétaire générale de la CNCDH. Présidente du Sous-comité chargé de l’accréditation des Institutions nationales des droits de l’homme auprès des Nations unies