
L'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) collabore avec différentes associations du Collectif "Ensemble contre la traite des êtres humains" pour l'accompagnement des victimes de traite et intervient dans des sessions de sensibilisation et formation organisées par ces dernières.
3 questions au commissaire Le Bail, cheffe de l’office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH)
1. Quels sont aujourd’hui les profils les plus fréquemment rencontrés parmi les victimes de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle et de proxénétisme[1] en France ?
Depuis plusieurs années, les tendances observées par l’OCRTEH permettent de dresser deux profils de victimes principaux : d’une part, des victimes françaises, souvent mineures, exploitées dans le cadre d’un proxénétisme de « proximité » ; d’autre part, des victimes étrangères exploitées par des réseaux criminels étrangers.
Victimes françaises
Détecté à compter de 2015, le « proxénétisme de proximité » est aujourd’hui la principale forme de proxénétisme en France.
Il se caractérise par la petite taille de ses structures (moins de 5 mis en cause et/ou moins de 5 victimes).
La nationalité des auteurs et des victimes est quasi exclusivement française. Les victimes sont essentiellement des jeunes filles françaises, mineures ou jeunes majeures, issues de tous les milieux sociaux.
Souvent vulnérables suite à des ruptures familiales, sociales ou scolaires, elles sont recrutées dans leur cercle d’amis, dans les foyers de l’aide sociale à l’enfance, au collège/lycée, sur les réseaux sociaux voire directement sur la voie publique.
Les risques ou situations prostitutionnels dans le cadre de fugues de mineurs sont également nombreux.
Dans un contexte de « glamourisation » de la prostitution et d’utilisation massive et parfois incontrôlée des réseaux sociaux, la plupart des jeunes filles perçoivent cette activité comme une forme de contrôle sur leur vie et leur corps, offrant une illusion de liberté et d’autonomie financière, sans conscience du traumatisme engendré.
Certaines sont ainsi plutôt pro-actives et rejettent leur statut de victime, rendant difficile le travail d’enquête mais également leur prise en charge policière ou l’aide d’associations spécialisées.
Utilisant les fragilités sociales des jeunes filles et l’entre soi alimenté par les réseaux criminels pour maintenir une emprise très forte sur leurs victimes, les proxénètes n’hésitent pas à recourir à la violence physique, psychologique et aux abus sexuels. Leur part promise des gains prostitutionnels (50 % en moyenne) est souvent conservée par les proxénètes.
Victimes étrangères
En forte hausse depuis 2020, les réseaux criminels issus d’Amérique latine et des Caraïbes sont aujourd’hui prépondérants par rapport aux autres réseaux étrangers exploitant des victimes sur le territoire français.
Ces organisations criminelles recrutent, dans leurs pays d’origine, des victimes vivant dans des conditions de précarité extrême, souvent en leur promettant un travail en Europe.
Une partie d’entre elles a connaissance de l’activité prostitutionnelle qui les attendra sur place mais est alors trompée sur le rythme et les conditions d’exercice. Une fois arrivées en France, généralement après être passées par des pays de transit (notamment l’Espagne), ces femmes sont contraintes de rembourser des dettes disproportionnées liées à leur transport et à leur hébergement, ce qui renforce leur exploitation.
Ces réseaux, très structurés, utilisent des technologies modernes pour gérer les annonces, les rendez-vous et les paiements.
Les proxénètes exercent une très forte emprise psychologique sur les victimes, s’appuyant notamment sur des menaces envers leurs proches dans les pays d’origine.
Les réseaux criminels chinois continuent d’exploiter un nombre important de victimes, notamment dans des salons de massage.
Bien que cette forme d’exploitation soit plus difficile à détecter, notamment en raison de l’apparence légale de certaines structures, les forces de sécurité intérieure (FSI) interviennent régulièrement pour démanteler ces réseaux.
L’exploitation sexuelle des victimes chinoises se fait aussi de manière mobile, avec des victimes déplacées d’une ville à l’autre et exploitées dans des appartements loués pour de courtes durées.
Les organisations criminelles d’Europe centrale et orientale, bien qu’affaiblies par la pandémie de COVID-19, restent actives, avec une présence notable de groupes russophones et balkaniques, ces derniers étant parfois impliqués dans des formes de proxénétisme plus traditionnelles, comme l’exploitation sur la voie publique.
En revanche, les réseaux criminels nigérians ont montré des signes de déclin ces dernières années, qui pourraient s’expliquer par la répression accrue de ces structures criminelles, la diversification des activités criminelles de ces organisations et la baisse des mouvements migratoires en provenance de cette région.
Ces réseaux, dont les victimes sont principalement exploitées sur la voie publique, exercent une pression psychologique extrême voire de graves violences sur leurs victimes.
2. Quelles relations l’OCRTEH entretient-il avec les associations spécialisées d'aide aux victimes ?
L’OCRTEH œuvre activement pour améliorer la prise en charge des victimes de traite à des fins d'exploitation sexuelle par les forces de sécurité intérieure en s’appuyant sur les associations spécialisées. Cet engagement est réaffirmé dans diverses mesures du Plan national de répression de la traite à des fins d'exploitation sexuelle, lancé en juin 2024 et porté par l’OCRTEH, en déclinaison des plans gouvernementaux.
En 2023, l’OCRTEH a signé une convention de partenariat avec Ac.Sé, dispositif national d’accueil et de protection des victimes de traite regroupant des associations et des centres d’hébergement pour une mise à l’abri et un éloignement géographique d’urgence de victimes de traite à des fins d'exploitation sexuelle.
L’association ALC, qui porte le dispositif Ac.Sé, est devenue le point d’entrée unique de l’OCRTEH lorsque les victimes sont majeures.
Le plan répressif de l’OCRTEH envisage de généraliser le recours au dispositif Ac.Sé pour l’ensemble des forces de sécurité intérieure.
Outre la mise à disposition d’une association spécialisée pour les victimes, l’objectif de ce partenariat est également d’instaurer un climat de confiance et de placer ces victimes dans les meilleures conditions possibles pour témoigner.
Ce dispositif présente au moins deux avantages : alimenter l’enquête (et le procès) en témoignages étayés permettant des condamnations pénales plus importantes, et offrir de meilleures possibilités de réinsertion et de sortie du système d’exploitation prostitutionnel aux victimes.
Concernant la prise en charge des victimes mineures, l’OCRTEH a tissé des liens avec plusieurs associations spécialisées, notamment avec Koutcha, qui dispose d’un centre d’accueil pour mineurs victimes de traite, et qui coordonne le réseau Satouk.
Ce réseau est composé de structures d’hébergement offrant une protection pour les mineurs et jeunes majeurs victimes de traite (notamment à des fins d'exploitation sexuelle), permettant ainsi de les éloigner des réseaux qui les exploitent et de les protéger.
Par ailleurs, l’OCRTEH échange régulièrement avec les associations spécialisées notamment sur les tendances observées et peut être amené à intervenir à l’occasion de sessions de formation et de sensibilisation organisées par ces dernières.
3. Quels dispositifs et moyens les forces de sécurité intérieure mobilisent-elles pour renforcer la détection, la protection et la prise en charge des victimes de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle ?
L’OCRTEH entreprend différents types d’actions : des formations internes, des actions de sensibilisation envers des partenaires extérieurs et la production de contenus tels que des fiches-réflexes et des guides à destination des enquêteurs.
L’OCRTEH organise en effet deux formations internes à destination des policiers et des gendarmes enquêteurs susceptibles de travailler sur des affaires de proxénétisme et de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle. Elles ont en général lieu une fois par an.
Dans le cadre de la formation de 4 jours sur la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, un focus important est fait sur l’accompagnement des victimes et le rôle des associations spécialisées.
Par ailleurs, depuis 2022, une formation spécifique sur la prise en charge des victimes de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle et du proxénétisme est organisée sur deux jours en lien avec différents partenaires tels que la Miprof et les associations d’aide aux victimes. Cette formation est dédiée aux techniques d’audition des victimes de traite et aborde les aspects juridiques, sociaux et psychologiques de la thématique.
L’objectif est de développer un savoir-faire spécifique à ce type d’audition, favorisant le recueil du témoignage et la prise en charge de la victime, et de renforcer par ailleurs la coopération entre les acteurs de la lutte contre la traite et le proxénétisme.
Lorsque cela est possible, des témoignages d’anciennes victimes sont prévus en lien avec les partenaires associatifs. Leur intervention permet aux enquêteurs de comprendre les enjeux et l’impact des auditions en tant que victimes de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle.
L’OCRTEH intervient également fréquemment auprès de partenaires extérieurs, associatifs, institutionnels ou privés.
À titre d’exemple, entre janvier et juin 2025, l’OCRTEH est intervenu 21 fois auprès de partenaires hors police et gendarmerie, par exemple auprès du Mouvement du Nid, d’E-enfance (qui gère le numéro d’urgence 3018) ou encore de la SNCF.
Enfin, l’OCRTEH, en tant que chef de file de la lutte contre la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle et le proxénétisme, produit de nombreux supports de formation et d’aide à l’enquête destinés aux forces de sécurité intérieure (modèles d’audition, d’attestations, fiche-réflexe sur la détection des victimes de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle ..). Des fiches sur la verbalisation pour achat d’actes sexuels ou encore la détection des situations prostitutionnelles dans le cadre des fugues, ainsi qu’un guide de l’enquêteur en matière de traite à des fins d'exploitation sexuelle / proxénétisme sont en cours de rédaction.
[1] Précision : Le proxénétisme est la principale forme de traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle détectée aujourd’hui en France. L’OCRTEH est compétent pour cette forme d’exploitation sexuelle. Il existe d’autres formes de traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle qui ne sont pas de la compétence de l’OCRTEH (par exemple le livestreaming pédopornographique est de la compétence de l’OFMIN).