
Depuis 2024, les mineurs en conflit avec la loi sont au centre des débats politiques et médiatiques. Face à une jeunesse perçue comme plus violente, et moins respectueuse de l’autorité, les lois se multiplient et les discours sécuritaires se durcissent, accompagnés de mesures pénales de plus en plus répressives.
Cette approche occulte une réalité largement ignorée : derrière certains comportements délinquants se cache une exploitation invisible, des enfants sous emprise, victimes de traite, et des exploiteurs qui agissent en toute impunité.
L’UNICEF France collabore souvent avec des associations du Collectif "Ensemble contre la traite des êtres humains" dans le cadre de plaidoyers nationaux et internationaux. Elle a publié un nouveau rapport « Victimes avant tout : Protéger les enfants contre l’exploitation criminelle » qui révèle l’ampleur d’un phénomène largement méconnu : l’exploitation des mineurs à des fins d’activités criminelles et délictuelles.
Les enfants : première cible des exploiteurs
D’après les données de la MIPROF [1], en 2022, deux tiers des victimes contraintes à commettre des délits étaient mineures.
Ces enfants, qu’ils soient français ou étrangers, ont en commun des parcours marqués par de nombreuses vulnérabilités : précarité, isolement, rupture scolaire, handicap, ou encore placement dans des institutions inadaptées.
Leur jeune âge, leur fragilité et l’absence perçue d’alternatives en font des cibles privilégiées de l’exploitation.
Que ce soit sur les réseaux sociaux, dans la rue, aux frontières ou même au sein de leur propre famille, ils sont recrutés contre la promesse d’un abri, d’un peu d’argent ou sous la contrainte. Progressivement, l’emprise s’installe. Les exploiteurs recourent alors à des violences physiques, sexuelles ou psychologiques et piègent les mineurs dans un cercle vicieux de dépendances, dont ils tirent profit.
Les types d’infractions sont multiples : transport de drogues, vol, participation à des trafics, facilitation de passages irréguliers, voire actes de violence ; parfois sans que les enfants n’en comprennent les enjeux. Beaucoup sont poly-exploités, et subissent simultanément exploitation sexuelle, travail forcé et implication dans des activités criminelles.
Des enfants non repérés ou sanctionnés injustement
En France, le manque de dispositifs d’identification et d’orientation des victimes de traite empêche de mesurer l’ampleur du phénomène et les données actuellement disponibles sont ainsi largement sous-estimées.
En 2022, seules 352 victimes – adultes et enfants confondus – ont été repérées par les associations.
Ce chiffre est tombé à 236 en 2023 [2].
À titre de comparaison, au Royaume-Uni, où un tel mécanisme existe, l’exploitation criminelle est aujourd’hui la forme d’exploitation des mineurs la plus fréquemment signalée : en 2024, 2891 enfants ont été identifiés comme victimes d’exploitation criminelle.
Par ailleurs, les enfants sont le plus souvent considérés comme auteurs d’infractions plutôt que comme victimes de traite. Ils font l’objet de gardes à vue, de poursuites judiciaires, voire d’incarcérations sans qu’aucune solution durable ne leur soit proposée à leur sortie.
Pourtant, la France a des obligations claires : la Convention internationale des droits de l’enfant, la Convention de Varsovie et le Protocole de Palerme imposent de prévenir ces situations, de protéger les enfants et de sanctionner les véritables responsables.
Prévenir, identifier et protéger
Aujourd’hui, trop peu de professionnels sont formés à détecter ces situations. Aucun outil opérationnel n’est disponible pour qualifier les cas de traite des êtres humains, orienter les mineurs concernés et assurer leur protection.
Dans ce contexte, la mise en œuvre d’une politique publique nationale, cohérente et dotée de moyens est indispensable.
Nous appelons les institutions à agir sans délai, en élaborant une stratégie de lutte contre l’exploitation criminelle des mineurs en cohérence avec les politiques de protection de l’enfance et les plans existants de lutte contre la traite.
"Cette stratégie doit s’articuler autour de trois piliers fondamentaux : la prévention, l’identification et la protection des victimes" , a déclaré Adeline Hazan, présidente de l’UNICEF France.
[1] Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains.
[2] MIPROF, La traite des êtres humains en France : profil des victimes accompagnées par les associations en 2023, 2024.
Contacts :
Corentin BAILLEUL, Responsable de Pôle Plaidoyer et Programmes France et Noémie NINNIN, Chargée de Plaidoyer France et Expertise ; à la Direction de la Communication, du Plaidoyer et des Programmes de l'UNICEF France.