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Les liens entre traite et sécurisation des frontières

Hors des débats habituels et partisans sur l’immigration, le nouveau livre, « les fantômes de l’Europe » tente d’exposer les conséquences sociales des politiques sécuritaires développées aux frontières, en se mettant à la place du migrant.

Révéler les liens entre traite des êtres humains et sécurisation des frontières

La question de l’immigration est souvent abordée de façon partisane, sous le prisme des problèmes culturels ou sociaux qu’elle implique. Les conséquences sociales qui touchent les migrants et la multiplication des situations de traite résultant de la sécurisation des frontières sont passées sous silence.

Ce livre essaie de mettre en lumière la réalité vécue par les migrants, de plus en plus vulnérables à l’exploitation, en expliquant les liens de cause à effet entre politique migratoire et traite des êtres humains, qui sont loin d’être évidents pour l’opinion publique.

Des politiques migratoires de plus en plus restrictives

La plupart des pays européens ont une population vieillissante, et sont dépendants de la migration pour leur économie. 

Mais une politique d’accueil des migrants intégrant leur régularisation, serait contraire aux attentes de la majorité de l’opinion publique.

Dans la plupart des pays d’Europe, on assiste à une droitisation de celle-ci et une montée des partis extrémistes. Face à cette réalité, les dirigeants hésitent à avoir une politique d’accueil des migrants. Elle aurait un coût électoral qu’ils ne sont pas prêts à payer. 

C’est pourquoi les gouvernements, quelle que soit leur couleur, préfèrent opter pour une politique restrictive et sécuritaire vis-à-vis de l’immigration.

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Les conséquences de la sécurisation des frontières

Le développement du crime organisé
En réalité, la sécurisation des frontières, ajoutée à l’absence de visa, rendent les passeurs incontournables pour venir en Europe. Le niveau de contrôle était très important ces derniers temps. Ceux-ci se professionnalisent de plus en plus en conséquence. 

Le prix du passage augmente ainsi sensiblement (il a été en moyenne multiplié par 10 entre 2010 et aujourd’hui) et les recettes potentielles attirent les réseaux de crime organisé.

Des migrants de plus en plus vulnérables à la traite
L’augmentation des tarifs de passage créé un endettement très fort pour les migrants. 

Ceux-ci ont donc de plus en plus recours aux réseaux de traite pour rembourser les sommes dépensées.

Un cadre d’étude volontairement large

L’étude présente dans le livre ne se limite pas à l’Europe. Elle intègre le Moyen-Orient, l’Afghanistan, l’Afrique et l’Europe. Et ce car les phénomènes de traite en lien avec l’immigration sont présents depuis les pays d’origine, jusqu’aux pays de destination des migrants, intégrant des auteurs qui peuvent être des compatriotes.
En fonction des pays d’origine, les formes de traite ne sont pas les mêmes. 

Chaque région du monde a recours à des types d’exploitation différentes impliquant des réseaux spécifiques. La parution intègre une analyse terrain qui explique ces spécificités, aussi bien dans les pays de transit qu’en fonction des origines des personnes.

Des mineurs de plus en plus touchés par la traite

L’augmentation du nombre de mineurs touchés par la traite va de pair avec la recrudescence de mineurs non accompagnés amenés à migrer. En effet, ce statut augmente les chances d’être régularisé. 

Par ailleurs, les mineurs étant plus dociles, plus faciles à manipuler, ils sont plus vulnérables à la traite.

Enfin, l’exploitation d’un mineur permet de profiter des failles du système judiciaire, que ce soit dans l’exploitation sexuelle ou la contrainte à commettre des délits. 

Une augmentation des situations de traite malgré une diminution des flux migratoires 

Entre 2015 et 2018, les flux migratoires ont quasiment été divisés par 10 selon l’agence Frontex. Et pourtant les situations de traite ne diminuent pas, voire s’amplifient. L’augmentation du prix du passage est une première explication. Ceci étant, l’enrichissement des réseaux criminels est un autre élément de réponse. Ceux-ci sont aujourd’hui à même de mettre en place une certaine logistique pour le transport des migrants. Et dans la perspective de les exploiter à leur arrivée, ils ont besoin de les préserver un minimum. Les migrants ont donc aujourd’hui plus de chances d’arriver en Europe sans difficulté en passant par des réseaux qu’en faisant la route seul. 

Pour un migrant en situation de vulnérabilité, les réseaux de traite sont devenus une façon de voyager relativement sûre. Certains acceptent donc de passer par une période d’exploitation pour rejoindre l’Europe dans de meilleures conditions.

L’intérêt d’une politique d’accueil des migrants

L’économie de la plupart des pays européens est dépendante de la migration. La régularisation d’une partie des personnes qui travaillent clandestinement aurait plutôt un impact favorable sur celle-ci. Elle impliquerait des rentrées d’argent pour l’état au niveau des charges sociales et patronales et des impôts. A l’inverse, la politique migratoire sécurisée ne fait qu’augmenter le crime organisé. 

Economiquement, il y a un réel intérêt à donner un statut aux migrants. Ils auraient alors bien plus de chances d’intégration. Par ailleurs, cela les rendrait beaucoup moins vulnérables à la traite.

Le livre "Les fantômes de l'Europe" aux éditions « Non Lieu »

Article écrit en collaboration avec Olivier Peyroux, Sociologue, spécialisé sur les migrations et la traite des êtres humains

L’association KOUTCHA

 L'association Koutcha a pour objectif

de proposer un dispositif d’accueil particulier permettant aux mineurs victimes de traite de se libérer de l’emprise qu’ils subissent ;

de bénéficier d’un accompagnement leur permettant de se reconnaître en tant que victime de traite des êtres humains et d’adhérer à un programme pédagogique individualisé, dans le droit commun, leur permettant d’intégrer après un certain temps un dispositif plus classique.

Olivier Peyroux, président de Koucha, est sociologue, spécialisé sur le phénomène de la traite des êtres humains, des mineurs en particulier. Chercheur et engagé sur le terrain, il est l’auteur de plusieurs publications sur le sujet.