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Traite et proxénétisme : améliorer la cohérence de la loi et son application

Le proxénétisme et la traite à des fins d’exploitation sexuelle : quelles distinctions faites par la loi ?

Le non-consentement de la victime caractérise la traite
Le proxénétisme est une activité interdite. Cependant, cette infraction ne préjuge pas du consentement de la personne prostituée. Cette qualification inclut donc le cas où la personne qui se prostitue s'est librement associée à un proxénète pour l’assister dans ses activités. 

En revanche, la qualification de traite implique l’exploitation sexuelle de la victime sans son consentement.

Le cas spécifique des victimes mineures
Cette distinction entre la prostitution libre ou contrainte n’est pas pertinente concernant les mineurs.
En effet, selon l’infraction de traite, la prostitution d’un.e mineur.e se fait forcément sous la contrainte, puisque les moyens de coercition n’ont pas besoin d’être prouvés pour caractériser l’exploitation.

La traite serait alors systématiquement le résultat d’un processus d’intimidation ou de manipulation de la part d’un auteur en vue de l’exploitation de la victime, et la prostitution d'un mineur correspondrait alors avant tout à une situation de traite plutôt que de proxénétisme.

L’application actuelle de la loi

L’appréciation des magistrats
Contrairement à la loi, la plupart des affaires de prostitution concernant des victimes mineures sont aujourd’hui qualifiées de proxénétisme de la part des magistrats. Par ailleurs, même dans les cas de prostitution de victimes majeures où la contrainte est avérée (menaces, violence, intimidation de la part des auteurs) les juges continuent de privilégier cette qualification plutôt que celle de la traite.

Que ce soit les policiers ou les magistrats, ils ne sont pas encore suffisamment sensibilisés à la réalité de la traite et ne connaissent pas parfaitement les termes de la loi à ce sujet.

Par exemple, le personnel judiciaire a tendance à qualifier une infraction de traite uniquement quand elle implique l’intervention d’un réseau international relativement structuré. Cependant, cette distinction ne correspond ni à la loi, ni à la réalité des faits de traite, qui concernent bien souvent de petites organisations plus ou moins structurées et peut être interne au pays.

Le cas du cumul des infractions
En regardant en détail la formulation de l’infraction de traite, on remarque que certains éléments peuvent être en concurrence avec d’autres infractions comme le viol. En cas d’ambiguïté ou de cumul des infractions de la part d’un auteur, la loi prévoit qu’il faut aligner la peine avec celle qui est punie de la condamnation la plus haute. 

Mais cela implique que le magistrat qualifie tous les faits reprochés à l’accusé. Ceci est donc laissé à l’appréciation des juges et peut grandement varier d’un magistrat à un autre, en particulier en fonction de son degré de sensibilisation par rapport à la traite.

Les paradoxes des peines prévues par la loi

Le proxénétisme plus sévèrement puni que la traite
On constate une grande incohérence au niveau des peines entre proxénétisme et traite. Il semblerait logique que la traite, impliquant intrinsèquement une dimension d’exploitation, ce qui n’est pas nécessairement le cas en matière de proxénétisme, soit considérée comme plus grave et plus préjudiciable que ce dernier. 
Or, concernant les victimes majeures, cela ne modifie pas les peines prévues. Et lorsqu’il s’agit de victimes mineures, l’infraction de proxénétisme fait une distinction entre les victimes de plus de 15 ans et celles de moins de 15 ans. Dans ce dernier cas, l’auteur risque 15 ans de réclusion criminelle. L’infraction de traite ne fait pas cette distinction, la peine étant de 10 ans d’emprisonnement pour l’exploitation d’un mineur, quel que soit l'âge.

Le proxénétisme est ainsi globalement plus sévèrement puni que la traite dans la loi française. Ce paradoxe vient de la transposition des traités internationaux dans le droit français, qui peut entrainer des incohérences de ce type.

Une relation amoureuse entre un jeune majeur et une mineure proche de la majorité assimilée à de la traite
Même si la situation ne s’est jamais présentée en justice, un majeur de 18 ans qui entretiendrait une relation amoureuse et sexuelle avec une mineure pourrait être poursuivi pour traite (hébergement et atteinte sexuelle sur mineur). La peine prévue serait la même que dans le cas d’un proxénète exploitant sexuellement des mineurs de plus de 15 ans.

Quelques pistes d’amélioration de la cohérence de la loi et de son application

Harmoniser la question du consentement
L’infraction de traite considère que si un mineur est prostitué, cela se fait obligatoirement contre sa volonté. En revanche, en matière d’atteinte sexuelle commise par un majeur, ou en cas de proxénétisme, la loi considère que son consentement est possible.

Sur le plan législatif, il faudrait définir un âge légal du consentement à des relations sexuelles avec un majeur pour l’ensemble des infractions. Ce qui aurait pour effet de faire basculer de nombreux cas, aujourd’hui qualifiés de proxénétisme, dans de la traite à des fins d’exploitation sexuelle ou dans le viol.

Pour les personnes exploitées, le fait qu’une infraction soit qualifiée de traite est une reconnaissance de leur statut de victime, et du fait que l’exploitation s'est effectuée sans leur consentement. Dans la perspective de leur reconstruction, en particulier psychologique, cela reste un élément fondamental.

Redéfinir les peines en fonction de la gravité du préjudice
Paradoxalement, la loi prévoit des peines plus lourdes en cas de proxénétisme qu’en cas de traite, alors que cette infraction, impliquant l’exploitation d’une victime, parait plus préjudiciable pour celle-ci. 

Il faudrait revoir la cohérence des peines en fonction de la gravité des faits et du préjudice subi par les victimes.

Former le personnel judiciaire pour améliorer l’application de la loi
La sensibilisation à la réalité de la traite et aux lois qui en découlent devrait intervenir dès les formations initiales du personnel judiciaire. Par ailleurs, il est nécessaire de continuer à faire un travail de pédagogie à ce sujet dans le cadre de la formation continue.

Le but est d’obtenir une réelle application des textes de loi et une cohérence des politiques pénales sur tout le territoire.

Télécharger l'étude de l'ACPE pour en savoir plus

Agir contre la Prostitution des Enfants (ACPE)

L’Association a été créée en 1986 pour sensibiliser, en France sur l’exploitation sexuelle des mineurs d’abord à l’étranger et aujourd’hui en France.

Ses missions sont essentiellement : 
Des campagnes de communication
Des actions en justice
De l’aide aux victimes
Du lobbying
Des actions de formation

 


Article écrit en collaboration avec Arthur Melon, Secrétaire Général de l’ACPE